INDE • "Jodhaa Akbar", un film victime des extrémistes | ||||||||
L'histoire des amours d'un musulman et d'une hindoue déchaîne les passions. A tel point que certains cinémas ont cessé de projeter cette œuvre. Le quotidien The Hindu appelle à résister à cette culture de l'intolérance. | ||||||||
La polémique autour de ce film se nourrit du caractère non historique du film, qui aurait "blessé" des groupes hindous se réclamant de la communauté rajput, une caste de guerriers très réputés. De toute évidence, "il n'a jamais existé de princesse Jodhaa Bai", explique Irfan Habib, éminent historien et spécialiste de la période moghole. Et, s'il est vrai qu'Akbar a bien épousé la fille aînée du prince hindou Bharmal, "le nom de celle-ci n'apparaît nulle part". Mais Jodhaa Akbar ne se veut nullement authentique sur le plan historique. Le réalisateur lui-même reconnaît que c'est "de la fiction à 70 %". Dans ce contexte, il est révélateur de se souvenir de l'accueil réservé au film de Karimuddin Asif dans les années 1960 : Mughal E Azam, version antérieure de l'histoire d'amour entre Jodha Bai et Akbar, n'avait provoqué aucun scandale. Il s'inspirait pourtant du folklore, n'avait aucune prétention historique et présentait également la princesse rajput comme l'épouse de l'empereur moghol. L'intervention des hommes politiques de tous bords dans l'actuelle campagne de dénigrement et d'intimidation témoigne, outre l'opportunisme politique, d'un recul de la liberté d'expression en Inde. Il n'existe aucune loi permettant d'interdire un film au motif qu'il constituerait une menace de violence réelle ou supposée. Cela serait une violation de l'article 19 de la Constitution, qui garantit le droit fondamental à la liberté d'expression. Le jugement dit Ore Oru Gramathile [du nom d'un film tamoul qui avait suscité la polémique], prononcé par la Cour suprême en 1989, indique clairement que "la liberté d'expression vise non seulement à protéger des idées acceptées, mais aussi celles qui blessent, choquent ou perturbent l'Etat ou toute catégorie de la population". Il stipule également que les troubles de l'ordre public ne peuvent en aucun cas justifier la suppression de la liberté d'expression et que céder aux menaces de violence "revient à nier l'Etat de droit". L'interdiction de Jodhaa Akbar ou l'apathie envers les fanatiques qui obligent les salles de cinéma à le retirer de l'affiche constituent donc une capitulation face à la culture de l'intolérance et une atteinte à notre Constitution. | ||||||||
Editorial The Hindu | ||||||||