"L'Inde rend-elle fou ou les fous vont-ils en Inde ?"
C'est la question que se pose Régis Airault, psychiatre qui a travaillé pendant de nombreuses année à l'ambassade de France à Bombay puis pour des compagnies d'assurance.
Il a été amené à intervenir à de nombreuses reprises auprès de français qui se perdent lors du voyage en Inde dans des épisodes psychotiques assez impressionnants (crise, angoisse, perte de repères, reminiscence d'évenements personnels passés) . D'autant plus impressionnants que ces épisodes disparaissent complétement après rapatriement en France...peu sont hospitalisés ici et le rapatriement est en lui-même une thérapie; le patient garde d'ailleurs un bon souvenir de l'Inde et rêve même dans certains cas d'y retourner (ce qu'il réalisera ou pas).
Plus intéressant, le psychiatre distingue parmi les voyageurs ayant basculés :
¤ Les personnes déjà dysfonctionnelles (pervers, dépressifs, toxicomanes, etc.) en France et qui vont en Inde pour fuir leur état ou mieux le vivre, consciemment la plupart du temps. (Réputation de Goa + drogues)
¤ Les personnes apparemment saines pour qui l'Inde semble en effet agir comme un révélateur .Ces individus sains (ou apparemment sains) peuvent basculer de deux façons : (avant son départ, ces personnes sont consientes ou pas des risques encourus...leur voyage est même motivé par une volonté de nouvelle expérience, sinon nouvelle découverte (dans leur discours, ils parleront de l'Inde et de sa richesse culturelle mais c'est bien de leur propre confrontation à cette culture qui est souvent à l'origine du voyage):
->Le choc de l'Inde :"un vécu de déréalisation auquel est soumis tout voyageur à l'arrivée. Même si la personne s'attend à ce choc culturel, la réalité dépasse souvent de loin ce qu'elle a imaginé et peut être à l'origine de toutes sortes de symptômes : angoisses, attaques de panique, sidération, effondrement dépressif, etc.". On a vu de nombreux retours immédiats dans l'avion suivant.
->L'épreuve de l'Inde : "Les tableaux psychiatriques aigus, eux, se déclenchent quelques semaines plus tard, à l'épreuve de l'Inde"
¤ Les résidents expatriés qui pour la plupart détestent ou adorent ce pays (par épisode...d'une seconde à l'autre) mais pour lesquels il n'y a pas de juste milieu. Ces résidents vivent souvent dans une angoisse permanente de la maladie. Ils peuvent être sujets à des "délires" plus modestes que dans le cas N° 2 (surestimation s'eux-mêmes, sentiment d'ennui, délire de persécution, paranoïa, dépression).
Dans une écriture quelque peu romancée, l'auteur insiste particulièrement sur les deux premiers cas, bien plus impressionnants.
Bien que je pense m'être située dans la 3ème catégorie (pas d'épisodes de folie impressionnants mais une attitude bizarre), je reste persuadée que la confrontation, plus ou moins longue à l'Inde prédispose à un changement inconscient de comportement.
Mon expérience a été sensiblement différente de celle décrite dans le livre. Le choc à l'origine de tout le reste en ce qui me concerne, ce fut une semaine après mon arrivée, un accident mortel de circulation juste en face de moi (je me souviens avoir fait pas mal de cauchemars après), suivi quelques semaines plus tard d'une hospitalisation pour maladie et de grands moments de solitudes et d'épisodes dépressifs (dans les 3 premiers mois). D'où par la suite, une peur particulière de ne jamais pouvoir revenir en France. La réaction ne s'est pas fait attendre, j'ai voulu profiter au jour le jour...tant de ce qui se passait autour de moi, que dans les relations humaines...c-a-d construire une nouvel environnement, une nouvelle vie, s'intégrer au mieux dans la société indienne.
C'est au retour que mon "monde" français/ ma vie "française" est ré-apparu...j'ai pu alors de nouveau ressentir ce monde, le palper...mais là, surprise...il a fallu se ré-adapter, non sans douleur (puisque en plus, je voulais tout, tout de suite)...Des personnes auxquelles je tenais n'avaient pas accepté celle que j'étais devenue et il a fallu apprendre à accepter les changements. Je suis maintenant philosophe...tant pis pour eux. J'espère avoir partagé avec ceux qui m'ont accepté ce que l'Inde m'a donné.(et continuer de le faire encore longtemps)
Ceci dit, toute expérience est personnelle, la généralisation est intéressante quand elle pose les bases d'une réflexion sur nous-même. Ainsi, Fous de l'Inde a le mérite de poser la question de l'adolescence (c'est-à-dire, selon Régis Airault, le passage de l'enfance à l'âge adulte...période qui peut continuer jusqu'à nos 35 ans, hé oui!). Dans les sociétés africaines notamment, on organisait beaucoup de rites initiatiques qui aidaient à ce passage. Dans notre société occidentale, ces rites n'existent plus (et encore moins depuis la supression du service militaire) d'où, selon Régis Airault, le besoin de certains adolescents (adulescens: jeune homme en latin) de se référer à des auxiliaires qui aideraient au passage vers l'âge adulte, la drogue, l'alcool, entre autres et aussi, le voyage...en Inde qui permet de ressentir le sentiment océanique...propre justement à ce passage (mais je vous laisse lire le livre pour plus de détails).
Un livre, donc, à mettre entre toutes les mains (même si vous n'avez pas de rapports à l'Inde) puisqu'il pose la douloureuse question de l'adolescence.
Quand j'y pense, j'ai passé 9 mois en Inde (enfin plus précisément 10), le temps d'une nouvelle naissance? :):):) (Une chance en fait)
Et je terminerai cet article avec la légende qui tient de prologue au livre en vous conseillant à nouveau de le lire:
"Une vieille légende hindoue raconte qu'il fut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Comme ils abusèrent de ce pouvoir, Brahma, le maître des dieux, décida de le leur retirer et de le cacher dans un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Oui, mais où?
Brahma convoqua en conseil les dieux mineurs pour résoudre ce problème.
- Enterrons la divinité de l'homme, proposèrent-ils.
Mais Brahma répondit:
-Cela ne suffit pas, car l'homme creusera et trouvera.
Les dieux répliquèrent:
-Dans ce cas, cachons-la tout au fond des océans.
Mais Brahma répondit:
-Non, car tôt ou tard l'homme explorera les profondeurs de l'océan. Il finira par la trouver et la remontera à la surface.
Alors, les dieux dirent:
-Nous ne savons pas où la cacher, car il ne semble pas exister sur terre et sous la mer d'endroit que l'homme ne puisse pas atteindre un jour.
Mais Brahma répondit:
-Voilà ce que nous ferons de la divinité de l'homme: nous la cacherons au plus profond de lui-même car c'est le seul endroit où il ne pensera jamais à chercher.
Et depuis ce temps-là, conclut la légende, l'homme explore, escalade, plonge et creuse, à la recherche de quelquechose qui se trouve en lui"